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Journaliste à BFM Business en charge notamment des questions de cybersécurité, je suis heureux de partager avec vous chaque semaine l’actualité du secteur mais aussi ma revue de presse et des tribunes

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Par Frédéric Simottel
29 mai · 4 mn à lire
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La défense Ukrainienne prise en défaut par des attaques sur un réseau de satellites

La lettre de Frédéric Simottel n°55

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Malgré tous les scénarii hollywoodiens sur la guerre des étoiles, brouiller un réseau de communications par satellites n’est pas aussi évident. Il a fallu plusieurs mois aux Russes pour enfin parvenir à perturber le service d’accès à internet Starlink qui couvrait une partie du territoire ukrainien. Destiné à l’origine aux communications domestiques, le réseau de SpaceX est en effet devenu une cible prioritaire pour les forces russes, car très utilisé par les militaires de l’autre camp. Or depuis quelques jours, le service Starlink est fortement dégradé voire inaccessible.

La défense Ukrainienne prise en défaut par des attaques sur un réseau de satellites

Comme dans toute guerre moderne, les infrastructures de communications sont clés. De fait, les structures ukrainiennes ont forcément figuré parmi les premières cibles des bombardements russes en plein cœur de l’hiver 2022. Et si le réseau mobile a au départ bien tenu, il a rapidement fallu trouver des solutions alternatives. Etonnamment, Elon Musk s’est rapidement manifesté pour proposer gratuitement des accès à internet via son service par satellites Starlink. Initialement prévu pour un usage domestique, ce service proposé par SpaceX s’est peu à peu imposé comme un outil crucial de communication à la fois pour les civils mais aussi pour les militaires, notamment sur les zones de front. 

Les militaires s’en servent pour accéder à Internet, puis ensuite pour les communications entre unités de combat, pour collecter des informations mais aussi et surtout pour piloter à distance des drones de surveillance, voire certains munis de charges explosives. Le déploiement est assez simple. Une fois les satellites à basse orbite connectés aux bases terrestres (chacune de la taille d’une boîte de chaussures), il suffit d’y raccorder en wifi routeurs, smartphones ou PC portables. 

Perte de signal vidéo avec les drones

Ce système a fait ses preuves pour notamment renseigner les forces ukrainiennes sur la position des unités d’artillerie russes. Mais depuis quelques jours, les premières alertes de grave dysfonctionnement sont apparues, notamment lors de la récente offensive menée sur Kharkiv, la deuxième ville située au nord du pays. Les militaires ont par exemple perdu le signal vidéo en provenance des drones et n’ont pu viser l’artillerie ennemie russe. Une unité entière de l’armée ukrainienne a également été mise en difficulté ; ses soldats ne pouvaient plus communiquer que par message texte via les applis de chats. Des défaillances qui ont semé de profonds troubles dans l’organisation ukrainienne. Certes, les Ukrainiens se doutaient que les Russes ciblaient ce réseau. Mais, face à la sophistication d’une telle attaque, ils ne pensaient pas les Russes aussi avancés et ont au départ attribué ces perturbations aux éruptions solaires (les mêmes qui ont donné lieu il y a quelques semaines aux aurores boréales aperçues en Europe). 

Un signal dégradé entre stations terrestres et satellites

C’est Mikhaïl Fedorov, le ministre Ukrainien du Numérique qui a finalement vendu la mèche et confirmé que les récentes attaques contre Starlink provenaient de systèmes d’interférence électroniques conçus par les Russes.

Ces derniers se seraient appuyés sur les travaux d’un projet dénommé Tobol, dont la première mission était de protéger les communications par satellites russes. Ils utiliseraient également un engin blindé bardé d’antennes, le Borissoglebsk 2. Grâce à ses outils ils parviendraient donc à dégrader le signal entre les stations terrestres et les satellites mais également le système de localisation de ces mêmes satellites. Selon les autorités ukrainiennes, il n’y aurait toutefois pas eu d’interruption totale du service et encore moins de piratage des échanges d’informations. Le ministre Fedorov affirme que l’Ukraine travaille avec SpaceX pour résoudre ces problèmes. Space X n’a lui pas répondu aux questions du journal New York Times. 

Un tournant dans la guerre 

Ces dysfonctionnements pourraient représenter un tournant par rapport aux capacités de défense et de riposte ukrainiennes. C’est en effet toute la vulnérabilité du système de défense ukrainien qui serait remis en cause. Certains se sont d’ailleurs étonnés que pour une ressource aussi vitale que les communications, l’Ukraine devienne aussi dépendante à un seul fournisseur de services satellites. Un acteur dirigé en outre par Elon Musk, pdg aux comportements jugés imprévisibles et qui, d’un claquement de doigt pourrait fermer son réseau.

Fedorov rétorque que l’Ukraine a bien entendu testé d’autres solutions, mais Starlink reste pour le moment le service le plus performant en termes de rapport qualité/prix (Space X a rétabli un abonnement payant courant 2023). Les Ukrainiens ont par exemple évalué un système de communications pour piloter des drones maritimes, mais la productiond e masse n’était pas possible et le projet a été abandonné.  

Paradoxe, en enquêtant un peu plus sur les abonnés Starlink, on apprend aussi que le service serait aussi utilisé par les Russes… Une commercialisation parallèle via des vendeurs tiers (SpaceX n’a pas le droit de vendre en direct aux Russes) a ainsi été repérée par plusieurs experts et médias.

Des inquiétudes sur la sécurité de Starlink au-delà des frontières russo-ukrainiennes

Reste les effets collatéraux, l’ampleur de ce piratage commence à dépasser les frontières du conflit. De par sa couverture mondiale, d’autres utilisateurs dans l’univers civil craignent aussi de voir leurs communications interrompues ailleurs dans le monde, si la technologie de brouillage venait à se déployer auprès d’autres populations de hackers.


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